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Joël Danet Vidéo Les Beaux Jours Ecrire une critique de film, écrire sur le cinéma Rédiger une critique de film compte parmi les activités pédagogiques liées à la transmission du cinéma à l’école. L ![]() Dans le cadre de l’école, la rédaction de la critique consiste moins à reproduire un travail journalistique qu’à s’efforcer de témoigner d’un regard averti et sensible sur l’art de la réalisation. Par ailleurs, l’histoire et l’actualité de la critique est marquée par des revues et des figures. A ce titre, elle inspire une approche textuelle : certains articles critiques pourraient, par leurs qualités littéraires et la philosophie qui les porte, être étudiés comme tels. Ils témoignent d’une réflexion au long cours sur l’essence du cinéma et l’évolution de sa place dans le monde des images. Le texte ci-après propose une synthèse des réflexions inspirées par l’activité critique en s’appuyant sur des références anciennes et récentes issues du centre de ressources de la Maison de l’image. Comme la programmation de films, la rédaction d’une critique compte de plus en plus parmi les activités d’éducation à l’image. En témoignent des initiatives récentes :
Or, à lire les copies de nombreux élèves, il semble qu’à leurs yeux, l’essentiel de la critique cinématographique consiste en un compte-rendu composé d’un résumé informatif sur le film traité assorti d’un avis personnel de spectateur. Cette image n’est pas de leur fait : ils imitent les pratiques qui se sont diffusées dans la presse généraliste depuis des décennies. En 1981, Jean Mitry se plaignait que les critiques se limitaient au traitement du sujet, des situations, des personnages. La sanction qui les conclut, par une note sur dix ou un nombre d’étoiles, ou un visage qui sourit ou fait la moue, permet de palier son absence d’analyse. Dès 1967, Pierre Ajame redoutait la banalisation de cette pratique qui fait l’économie de tout argumentaire : « Les directeurs de journaux diminueront progressivement la surface des rubriques jusqu’à les réduire aux stupides étoiles de Paris-Match où, chaque semaine, deux ou trois adjudants décorent ou dégradent selon des critères d’épiciers » (Le procès des juges – les critiques de cinéma, paris, 1967, p. 263). De même, Truffaut reprochait à la critique de se limiter au « niveau du ‘Allez-y’ ou ‘N’y allez pas’ » (« André Bazin nous manque », 1983). Aujourd’hui, les blogs consacrés au cinéma sont profus en jugements à l’emporte pièce, conversations de comptoirs sous forme écrite. Littérature abondante et décomplexée, d’autant que toute considération à l’endroit d’un film se fait et se publie dans l’insouciance depuis qu’un arrêt de la Cour d’appel de Paris, en décembre 1930, a établi juridiquement le « droit à la critique » dans les journaux français, droit distingué de la diffamation comme de la calomnie (Antoine de Baecque et Pierre Guislain, Objectif cinéma, Paris, 2013, p. 315). Pourtant, la critique comporte des enjeux plus profonds. Ils sont d’ordre esthétique et politique :
En cela, elle peut être employée comme un exercice scolaire au même titre que la rédaction, le commentaire de texte, la dissertation… articulant savoir cinéphilique, sens de l’analyse des images, et sensibilité personnelle au style des œuvres cinématographiques. Voire, elle peut ouvrir à une réflexion d’ordre philosophique, requiert l’organisation de la pensée et la maîtrise de l’écriture. Ecrire une critique c’est s’ouvrir à celle des autres, s’intéresser à leurs formulations autant qu’à leurs contenus, entrer dans la grande conversation esthétique que le cinéma inspire depuis les années 20 et que son actualité ne cesse d’alimenter. C’est d’une part prendre l’habitude de lire les articles critiques dans la presse spécialisée et sur le net. C’est aussi se pénétrer de la littérature dont sont responsables certains théoriciens qui ont pensé le cinéma en rédigeant des critiques comme de véritables essais. De même qu’une composition de lettres est supposée attester de la fréquentation de la littérature, la rédaction d’une critique imite les exemples professionnels et se nourrit de la pensée du cinéma par la connaissance de ses figures et de leurs œuvres. Enfin, l’exercice répété de la critique incite à l’analyse du film, à un regard averti sur le cinéma qui se fait ou s’est fait, aiguise l’attente de celui qui vient. Insérer le jugement sur l’œuvre dans une réflexion sur l’art La tradition de la critique remonte au XVIIIe siècle avec l’organisation de salons qui, concentrant l’actualité de la peinture, permettaient de l’appréhender et d’en débattre. Dans ce contexte, Diderot, engagé par une revue indépendante, L’Observateur littéraire, peut appliquer ses conceptions de l’art à ce qu’il observe sans craindre de censure. Il écrit « sans avoir égard au nom, ni à la réputation des peintres, ni au rang qu’ils occupent. » Il suivra dans ces conditions trois salons, ceux de 1759, 1761, 1763. Dans ses compte rendus s’élabore le langage critique : articulation de réflexions de fond avec des jugements faits sur pièce, revendication de l’approche subjective, animation de l’analyse par un registre empruntant à la conversation « Beaucoup de tableaux, mon ami, beaucoup de mauvais tableaux. ». Sur quoi s’appuie Diderot pour juger la peinture des autres, alors qu’il n’est pas peintre lui-même ? Sur sa capacité d’observation, sa culture en la matière, enfin sur son talent d’écrivain pour restituer et faire partager une impression : l’écriture, le maniement des mots est le moyen d’évocation et d’analyse des images, celui qui reste en vigueur aujourd’hui. Un siècle plus tard, un nouveau grand nom marque l’histoire de la critique : Charles Baudelaire qui entreprend de suivre des salons de peinture à partir de 1845 pour son propre compte et non dans les pages d’une revue. Autre signe de personnalisation de la fonction critique : sa volonté de se démarquer son discours de celui des journalistes en élaborant, à partir de ses impressions, une philosophie de l’art. Se voulant héritier de Diderot, il cherche à faire de la production contingente l’aliment d’une réflexion qui dépasse le temps de l’immédiateté, une critique renvoyant à une autre, s’inscrivant dans la continuité d’une méditation sur la production d’une époque. Diderot, qui encourageait l’observation de la nature, avait à cœur de rappeler dans quels contextes politique et social se produit l’œuvre d’art. De même, Baudelaire cherchait à travers les œuvres rencontrées les indices de la modernité autant que l’expression du beau, établissant une tension entre la quête de l’éternel et la volonté de faire époque. En cela, Diderot et Baudelaire ont fait du critique un possible auteur, dont le nom, par la vision qui lui est associée, fait autorité. Leur démarche annonce celles d’André Bazin ou de Serge Daney qui ont transcendé leur condition de critique par leur volonté de plier l’élaboration de leurs textes à la poursuite de questionnements esthétiques sur le cinéma. Les éditer aujourd’hui, c’est faire de leur réunion la substance d’un essai (ainsi, l’édition des critiques de Bazin est intitulé : Qu’est-ce que le cinéma ?) : le film approché n’est pas une fin en soi, il alimente une réflexion qui le devance et le dépasse. C’est pourquoi nous lisons aujourd’hui un article de Bazin sur un film de Roger Leenhardt qu’il n’est plus possible de voir, de même qu’un article de Baudelaire sur les croquis d’un artiste mineur comme Constantin Guys : l’objet de notre curiosité est moins l’œuvre en cause que la médiation qu’elle sous-tend, sur la mise en scène de la jeunesse qui s’enfuit ou la manière de rendre tangible le spectacle fugace et renouvelé de la rue. Préparer le jugement de la postérité Dans son introduction, Baudelaire pose le critique comme une instance de tri qui affronte le tout venant pour éclairer le public, considéré comme le plus large : « Nous parlerons de tout ce qui attire les yeux de la foule et des artistes – la conscience de notre métier nous y oblige.- Tout ce qui plaît a une raison de plaire et mépriser les attroupements de ceux qui s’égarent n’est pas le moyen de les ramener là où ils devraient être. » Pas de snobisme, pas de choix élitiste, mais un regard qui embrasse la production dans son abondance, y compris les choix populaires, démarche qui sera reprise dans les revues cinéphiles comme Les cahiers du Cinéma ou Positif qui n’hésitent pas à traiter des blockbuster pour juger leur valeur et tenter d’expliquer les ressorts de leur succès. A remarquer que le ton des salons de Baudelaire s’apparente à celui de Diderot : celui, enlevé, vif, de la conversation. Il en reste quelque chose dans les critiques de cinéma : volontiers polémiques, elles s’adressent à un interlocuteur absent, autant pour l’informer que pour le convaincre en déjouant d’avance ses objections. Dès le temps des pionniers, la fonction critique se fonde sur un double manque : le public, qui n’a pas eu accès à l’œuvre, ou pas encore, cherche à s’en faire une idée ; l’œuvre appelle un discours entre analyse et jugement pour s’accomplir, c’est-à-dire exister réellement comme objet esthétique. Jean Douchet défendait la nécessité du travail critique en ce sens : non désignée, non commentée, l’œuvre est condamnée au sommeil. « Un seul amateur suffit à restituer leur vraie valeur aux œuvres ignorées, comme aux artistes oubliés. Qu’était pour nous, Occidentaux, jusqu’en 1952, Mizoguchi, le plus grand, peut-être de tous les cinéastes ? Rien ou tout juste un amas de pellicule aussi perdu dans les studios nippons que le fut Angkor Vat dans sa jungle. » Il en est de même des œuvres exposées à la vue de tous : il faut le regard critique pour les activer, les faire advenir. « La courte histoire du cinéma, poursuit Douchet, abonde ainsi d’exemples de films regardés par des millions de spectateurs et pourtant complètement méconnus. Il a fallu révéler Murnau et Keaton, comme Lang, Hitchcock, Walsh, Hawks, Losey, etc. (…) Considérée sous cet angle, le seul possible d’ailleurs, la critique devient synonyme d’invention, dans le sens courant du terme et dans celui de la découverte. » (L’art d’aimer, p. 17-18, déc. 1961). Jean-Michel Frodon poursuit la même idée en la nuançant. Il rappelle qu’une œuvre d’art, avec des moyens matériels très divers, « s’adresse à notre imaginaire par le biais de nos sens, pour susciter des réactions qu’elle ne contient pas toutes entières elle-même. Une œuvre d’art est un objet troué, où il ya du manque, un espace ouvert que chacun de ceux qui le recevront comblera à sa manière (…) la définition même de l’œuvre d’art est de ne pas être finie, c’est son spectateur qui la complète par lui-même. » Observation qui reprend l’affirmation de Duchamp selon laquelle une œuvre d’art se termine dans le regard du spectateur. Peut-être est-ce le sens du sous-titre que Godard avait donné à l’un de ses films, Hélas pour moi : « Une proposition de cinéma », mettant en évidence le rapport public qu’induit toute production artistique diffusée avec l’autorisation de son auteur. Respecter le travail du cinéaste Pour Douchet, le critique doit aussi dénoncer les « fausses gloires » parmi les réalisateurs, même ceux qui connaissent un succès aussi massif qu’éphémère. Pour Frodon, il lui appartient d’authentifier l’œuvre d’art en identifiant l’ouverture qu’elle est supposée receler ou bien de dénoncer une « fausse œuvre » qui ne serait rien d’autre « qu’une prise de pouvoir sur les esprits ». Nous retrouvons la logique de tri que Baudelaire voulait assumer en se mettant à l’épreuve de la globalité d’une production, sans choix préalable. Ce faisant, le critique prépare l’histoire, devance le travail de la postérité. C’est au tamis de son discours que les œuvres sont reconnues telles. C’est une vigie dont bénéficie le public qui fait ses choix de séances et s’intéresse par ailleurs aux évolutions en profondeur de l’art cinématographique. Dès lors, pour Frodon, « chaque œuvre repose le défi de sa propre ouverture, des ressources de ses incomplétudes pour ceux qui sont conviés à y entrer. C’est pourquoi, tant qu’il y aura des œuvres, le travail critique aura à s’effectuer. » Ce qui sous-entend que l’artiste attend du critique l’analyse qui, par sa pertinence, lui permettra de vérifier que son intention a été justement perçue. D’où l’angoisse de l’artiste en général à l’idée de lire des critiques sur l’une ou l’autre de ses œuvres, et le sentiment d’injustice qu’il peut éprouver quand il ne s’y reconnaît pas. Même les créateurs qui admettent la légitimité de la fonction critique ne sont pas disposés à juger légitime toute critique émise : il lui faut attester d'une qualification. Cette relation épidermique de l’artiste au jugement sur son travail devrait appeler le respect de tous ceux qui s’y prêtent, respect des efforts que celui-ci a coûté et de l’enjeu personnel qu’il représente. A Gauguin qui, dans un film de Minelli, reproche à Van Gogh de peindre trop vite, celui-ci lui rétorque : « Tu regardes trop vite ». Le respect critique, c’est à la fois la conscience de ce que coûte le travail de création, et l’effort pour le considérer avec l’intensité qu’il mérite a priori. Ceci implique que le critique ait une conscience aigue de la réalité de la fabrication d’un film, qu’il garde à l’esprit la phrase de Philippe Garrel : « Le cinéma, c’est difficile à faire ». Certains critiques comme Alain Bergala ont intensément fréquenté les plateaux de tournage pour devenir intimes des enjeux de la réalisation et découvrir, au moment où elles se prennent, les options de sa mise en œuvre. Un exercice d’écriture Art populaire, le cinéma instaure un rapport spécifique à la critique. Comme le remarquait François Truffaut : « Tout le monde a deux métiers : le sien et critique de cinéma », entendant que le cinéma favorise l’échange sur ses œuvres : la conversation à leur sujet est spontanée parmi les personnes qui sont allés les voir ensemble, par ailleurs, ils entretiennent le phénomène de bouche-à-oreille qui, très souvent, conditionne leur succès. L’impact immédiat du cinéma fait que chacun, fort des émotions qu’il a ressenties, les exprime spontanément dans le feu de l’échange. L’approche critique est différente en ceci que, passant par l’écriture, elle n’est plus, selon Frodon, « dans ce rapport d’immédiateté au film et aux émotions qui caractérise la parole proférée au sortir d’une projection. » L’élaboration du jugement par l’écriture créé un temps supplémentaire qui devrait apporter le recul nécessaire pour ne pas passer à côté de la substance du film, d’autant que l’écriture est un exercice solitaire déchargé de la pression qu’exercent les enjeux de la conversation. Nous remarquons, à l’écoute du Masque et la plume, le décalage entre la contribution préparée et la participation à chaud : la dispute ôte souvent la faculté de dialectique et de progression dans la réflexion. La presse reste le lieu privilégié de la critique par ce que celle-ci prend toute sa dimension par l’écriture. En cela, elle est appelée à se développer par le net qui mobilise tout autant la lecture par la mise en ligne de textes. Aboutir un commentaire critique requiert la combinaison de deux compétences :
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