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![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Session 3 Les frontières de l’économie et leurs conséquences pour l’économie de la connaissance Michel FOUCHER Le paradoxe des frontières dans la globalisation, le retour des frontières Vendredi 20 novembre 2009. 08h30-10h00 Michel Foucher est professeur à l'Ecole normale supérieure (Ulm), membre du Conseil des affaires étrangères et directeur de la formation à l'Institut des hautes études de défense nationale Géographe et diplomate, agrégé et docteur en sciences humaines, il a enseigné à l'université Lyon-II, à l'ENA, aux IEP de Paris et Dijon et au Collège d'Europe de Natolin (Pologne). Ses recherches portent sur les dynamiques frontalières dans le monde et l'impact territorial des mutations géopolitiques. Conseiller du ministre des affaires étrangères Hubert Védrine (1998-2002) et directeur du Centre d'analyse et de prévision, puis ambassadeur de France en Lettonie (2002-2006), il codirige le master 2 de géopolitique ENS-Paris-I. Michel Foucher est expert auprès de la commission de l'Union africaine. Il préside le festival culturel Des frontières et des hommes, (Thionville, Luxembourg, Sarrebruck en novembre prochain). Il est l’auteur, entre autres, de : L’Europe et l’avenir du monde, Odile Jacob, 2009 ; Europe entre géopolitiques et géographies, direction, Armand Colin, 2009 ; L’obsession des frontières, Perrin, 2007 ; Fronts et frontières, un tour du monde géopolitique, Fayard, 3° édition 2004 ; Frontière(s), images de vie entre les lignes, Glénat, 2007 (textes) ; Les arpenteurs de l’Europe, Actes sud, 2008 (œuvre collective dirigée par Renée Herbouze). Résumé Nous vivons sur une idée fausse et dangereuse : parce que le monde est devenu plus fluide et l’économie globalisée, les frontières seraient condamnées à disparaître. Or, depuis deux décennies, plus de 27.000 kilomètres de frontières terrestres ont été tracées, principalement en Europe et en Eurasie où la fragmentation géopolitique se poursuit (on ne relève que deux cas de nouvelles frontières en Afrique et en Asie dans la même période). Près de 24.000 kilomètres ont fait l’objet d’accords internationaux de délimitation et de démarcation et de règlements. Les murs et clôtures se multiplient et s’étendent sur 3% du kilométrage total des limites terrestres. Les conflits les plus durables, dont certains datent des années 1940, portent tous sur le bornage des territoires. La territorialisation des espaces maritimes est en marche. Alors se pose une question lancinante : à quoi servent-elles dans le monde actuel, supposé globalisé et « sans frontières » ? Session 3 ● Collège des Bernardins ● 19-21 novembre 2009 Transcription de l’intervention La frontière, objet géopolitique La frontière est l’objet géopolitique par excellence car elle manifeste le plus clairement l’articulation entre le politique et le territoire. Friedrich Ratzel, géographe allemand du XIXe siècle, disait à ce propos que faire la guerre consistait à promener sa frontière sur les territoires d’autrui. Les concepts de limite et de borne Ma présentation s’appuiera sur deux concepts très importants : celui de limite et celui de borne. Ces concepts ont été introduits et distingués par Kant dans le champ de la connaissance scientifique, dans ses Prolégomènes à toute métaphysique future (1783). Selon Kant, la limite (die grenze) suppose que nous pouvons encore connaître ou découvrir quelque chose. Si on transpose cette définition en termes géopolitiques, poser une limite signifie que l’on sait que l’autre existe. La borne (die schranke), en revanche, est un marqueur territorial. Avoir une stratégie de bornage revient donc en termes géopolitiques à nier l’autre. Ainsi, un mur est une borne linéaire, tandis qu’une frontière est une limite qui peut être soit ouverte soit fermée. Les manifestations du retour des frontières J’aborderai dans cette présentation, ce que j’appelle, « le retour des frontières ». J’ai repris mon ouvrage Fronts et frontières : un tour du monde géopolitique (1ère édition en 1988) pour faire le point sur ce qui s’est passé depuis 20 ans. Quatre phénomènes me sont apparus frappants :
Je partagerai donc avec vous des analyses sur ces quatre points. « Globalisation » et monde sans frontière J’emploie le moins possible le terme de « globalisation » dans la mesure où c’est un concept creux s’il n’est pas préciser ce qui se globalise. Ce terme, créé en 1983 par Théodore Levitt, servait à conseiller les managers des grandes firmes américaines dans le sens de l’élaboration de produits industriels capables d’être standardisés et consommés à l’identique dans le monde entier. Pour un géographe, qui travaille avec des échelles et des ordres de grandeur, la globalisation désigne l’ensemble des phénomènes qui se déploient à l’échelle mondiale et qui ont un impact à d’autres échelles. L’idée que nous vivons dans un monde sans frontières est paradoxale. Les théoriciens du concept de globalisation ont ainsi pu écrire des ouvrages titrant « Borderless world » à destination d’entreprises voulant vendre des produits globaux. On s’est depuis rendu compte que les marchés n’étaient pas globaux car demeuraient des aires culturelles, linguistiques, etc. dont découlait une nécessaire adaptation des produits. Néanmoins, l’idée d’un monde sans frontière, partagée par les banquiers d’investissement et curieusement par les altermondialistes, est devenue ces deux dernières décennies un véritable slogan. Nous vivrions dans un monde sans frontières et internet serait le symptôme et le symbole de cette situation. Toutefois, internet est parfaitement contrôlé par les polices culturelles de nombreux États et ne peut donc suffire à faire la preuve que nous vivons dans un monde sans frontière. Ce qui est certain, c’est que nous vivons dans un monde de circulation, de flux ; la globalisation n’étant pour une entreprise, que la capacité d’agir, de produire ou d’investir en temps réel à l’échelle du globe. 1/ Chroniques frontalières dans le monde en 2009 Je vous livre ma chronique frontalière des derniers mois qui illustre parfaitement le fait qu’il se passe pratiquement tous les jours quelque chose en matière de frontière.
2/ A quoi servent les frontières ? Une frontière est une ligne de partage de souverainetés : c’est là qu’expire une souveraineté et qu’en commence une autre. Même si l’on passe de Strasbourg à Kehl sans s’arrêter, lorsqu’on arrive en Allemagne, on se trouve dans un pays décentralisé qui a une autre histoire, une autre culture, etc. Les frontières et les discontinuités territoriales ne disparaissent pas. Ce sont les fonctions des frontières qui changent. Ainsi, en Europe, s’effacent certaines fonctions de barrières. Fondamentalement, les frontières ont une fonction légale (le juge), une fonction de contrôle (la police) et une fonction fiscale (la douane). Dans les états en formation, les frontières sont valorisées. Dans les ensembles ouverts, comme l’Union européenne, on est plus dans la métaphore du pont et souvent la frontière sert de point de départ à une construction régionale. 3/ Géopolitique des frontières en 2009 Je défends la thèse que les limites deviennent plus visibles. Notre monde est composé de 193 États auxquels s’ajoutent des territoires. On recense 271 dyades, frontières terrestres communes à deux États contigus, ce qui représente 248 000 km soit un demi-million de km à gérer puisqu’il faut être deux pour gérer une frontière. Les tendances :
Les nouveaux États souverains depuis 1991 : L’ouverture du mur ne marque pas seulement l’échec de la tentative de mondialisation communiste mais aussi et avant tout une espèce d’automne des peuples. Quand les centres s’affaiblissent, les périphéries s’émancipent. Lorsque Gorbatchev a aboli l’article 6 de la constitution, c'est-à-dire le monopole du parti, il pensait trouver en face de lui des soviets comme Lénine, mais il a trouvé en face de lui les nations. Ce sont les dirigeants russes, ukrainiens et biélorusses qui ont décidés de mettre fin à l’Union soviétique le 8 décembre 1991 pour tirer le tapis sous les pieds de Gorbatchev, secrétaire général du parti communiste, qui a démissionné le 21 décembre. Ensuite, les fédérations inégalitaires ont explosé soit pacifiquement (Slovaquie, république Tchèque) soit dans la tragédie (Yougoslavie). Nulle part ailleurs dans le monde (sauf en Érythrée), on a créé de nouvelles frontières. Nous étions dans une période qui a favorisé cette fragmentation géopolitique de l’Europe et de l’Eurasie. Je ne porte pas de jugement mais il faudra que l’Union européenne se débrouille avec les conséquences de cette fragmentation. Quand tout le monde sera autour de la table, nous ne serons plus 27 mais 40 ou 45 (sans compter l’Europe orientale, l’Asie centrale et le Caucase), ce qui sera assez complexe à gérer. Lorsque je me rends en Afrique, j’explique aux africains qu’il ne faut surtout pas suivre le modèle européen. Chaque fois que nous avons un problème en Europe, nous créons un État nouveau et je ne suis pas sûr que cela soit la meilleure façon de viabiliser les ensembles. Les frontières sont en réaffirmation sur deux registres :
Un exemple : en mai 2008, au col de Nathu La entre l’Inde et la Chine, un convoi de camions chinois chargés de marchandises franchit une frontière qui était fermée depuis la guerre de 1962. Les échanges entre la Chine et l’Inde augmentent et passent par des routes maritimes ou terrestres. Il faut donc qu’il y ait un accord sur l’ouverture de la frontière. Ceci se passe partout dans le monde.
Les règlements frontaliers Il s’agit d’accords passés entre les États pour conclure de longues négociations. En général, ils ne règlent pas un contentieux mais fixent les choses une fois pour toute et permettent de moderniser la démarcation. Quelques exemples :
La multiplication des accords et des règlements frontaliers a été pour moi une vraie découverte. Ils consistent à stabiliser les choses, à négocier, à délimiter, à démarquer, à matérialiser sur le terrain et à ouvrir pour les échanges. 4/ Délimiter et démarquer En dehors de la guerre, il y a 4 options civilisées pour régler les différends :
Autres inconvénients : la durée (minimum 4 ans) et le coût élevé de cette procédure.
5/ Une tendance au durcissement Des limites dures (Corée par exemple) existaient avant l’ouverture du mur de Berlin. Depuis d’autres se sont installées. Il s’agit là de la catégorie kantienne de la borne. Le mur est la métaphore de la clôture, de la fermeture, de la négation de l’autre visible. Je vous propose une typologie de la barriérisation en fonction de quatre situations géopolitiques :
@Foucher 10/2009 Ces murs représentent actuellement 3 % de la longueur totale des frontières terrestres. On réinvente le modèle romain du limes, c'est-à-dire qu’on clôture pour filtrer et non pour fermer. Même le mur israélien contient 31 passages. Exemple du mur entre San Diego et à Tijuana @Foucher 10/2009 A gauche de la photo, on voit la ville de Tijuana (2 millions d’habitants) ; au milieu, dans les parties plates, les 36 zones industrielles. Tijuana est la capitale mondiale de l’écran plasma. Toutes les entreprises importantes sur ce marché sont implantées à Tijuana en raison des zones franches, des différentiels salariaux importants et de la quasi absence d’impôts. Ces activités industrielles servent à fixer l’emploi au Mexique pour diminuer la pression migratoire. Elles donnent également lieu à d’importants passages, l’assemblage des produits étant effectué du côté mexicain et leur finalisation du côté américain. La clôture classique qui suit la frontière internationale de 1849 a été doublée par un mur. Même s’il y a des tentatives de passage la nuit, cette frontière est en réalité la plus franchie du monde en toute légalité (53 à 60 millions de passages dans chaque sens). Vous avez donc un mur visant à diminuer l’immigration illégale qui constitue en réalité un immense péage permettant le passage des piétons, des voitures et des camions. La deuxième clôture a pour effet de diminuer d’environ 25 % les passages clandestins qui ne sont rien par rapport à la masse des passages légaux. 6/ La résistance des États ou des bureaucraties Le temps d’attente à la frontière Des études menées par la banque mondiale, l’OCDE, la CNUCED, mettent en évidence les obstacles à la fluidité des échanges. Le concept de « temps d’attente à la frontière » correspond au nombre de papiers devant être signés pour un export auquel s’ajoute le nombre de signatures et le temps de franchissement et de route depuis l’usine jusqu’au port. Il n’inclut pas le temps de transport maritime. Quelques exemples : Singapour/Danemark : 6 jours ; Finlande/ Portugal : 7 jours ; Bolivie/Pérou : 49 jours ; Afrique : 35 jours à l’export ; 60 jours à l’import. Plus les pays sont pauvres, plus ils dépendent des ressources douanières et plus le temps d’attente est élevé. Nous ne sommes donc pas dans le monde de l’économie financière virtuelle où il suffit d’appuyer sur un bouton pour investir à Tokyo ou à Séoul. Il y a une rugosité de l’espace géographique. Les résistances symboliques Lorsque la Pologne est entrée dans l’espace Schengen le 21 décembre 2007, les douaniers et les policiers allemands ont protesté : « frontière ouverte oui, mais pas de liberté pour le terrorisme et la criminalité ». Cela témoigne d’une part de fantasme car je ne crois pas que la Pologne soit un foyer terroriste (pas plus que le Mexique n’est responsable du 11 septembre). Les gardiens des portes résistent ; ils sauvent leur emploi. La solution a été de créer des patrouilles mixtes (donc bilingues) pour élargir le rayon des douanes. Au fond, l’ouverture des frontières dans l’Union européenne suppose un effort d’apprentissage de la langue de l’autre pour exercer des contrôles conjoints. Frontières impossibles ? @Foucher 10/2009 Cette photo du bout de la frontière Mexique/États-Unis résume bien notre monde. Nous vivons maintenant dans un monde où nous savons qu’ailleurs l’herbe est plus verte. Même si les États mettent en scène leur volonté de contrôle, dans le fond, ils ne contrôlent pas grand-chose. Toute l’histoire des murs est l’histoire des stratégies de leur contournement. Questions / Réponses
Concernant les frontières maritimes Les frontières maritimes sont déterminées à partir des lignes de bases. Le débat porte donc sur le fait que les canadiens défendent la ligne de base en jaune, au-delà de laquelle il y a une revendication sur 200 miles nautiques. De même, les russes défendent la ligne de base en rouge incluant les îles. Ceci est contesté par les États-Unis, le Danemark et l’Union européenne. Il y a un désaccord fondamental sur la ligne de base car les États-Unis considèrent que certains passages entre les îles sont des eaux internationales. Concernant les passages du nord-ouest et du nord-est Le passage du nord-ouest est un vieux fantasme sur lequel les compagnies maritimes ont travaillé. En réalité, en dehors de quelques bateaux de tourisme, ce passage est peu fréquentable pour des raisons très simples : présence de glace même quand la banquise se retire, vents violents, courants, et tirants d’eau. Ce passage du nord-ouest ne serait donc utile que pendant quelques semaines pour des produits en vrac, qui n’ont pas besoin d’être livrés en temps réel et pourraient être transportés sur des bateaux de petite taille. La rentabilité n’est absolument pas établie. Le passage du nord-est est un peu plus longtemps libre de glaces mais là aussi la rentabilité est relativement faible. Je trouve donc que l’on tire des conséquences un peu hâtives des constats du GIEC. Je ne crois pas à l’avenir économique de ces zones. En revanche, il y a vraiment des enjeux de souveraineté et une volonté russe de s’approprier le pôle nord. L’offensive stratégique russe est très claire en Arctique et les norvégiens viennent de déplacer leur état major 1000 km plus au nord pour surveiller ce qui se passe dans cette zone.
La Suisse vient d’entrer dans l’espace Schengen. La Suisse n’est pas et ne sera pas avant longtemps dans l’Union européenne car certains cantons résisteront toujours. Néanmoins, la Suisse suit de très près ce qui se passe à Bruxelles et s’adapte en permanence aux législations européennes. Elle fait donc comme si elle était dans l’Union européenne mais elle garde sa souveraineté. La Suisse est probablement le premier client de l’Union européenne. C’est un grand partenaire commercial et industriel. Les frontières suisses constituent des pôles d’attraction (Cf. Bâle et le canton de Genève qui sont des pôles d’emplois très importants). Concernant les frontières françaises en général, je suis frappé par la dissymétrie qui existe entre pays frontaliers et la France. Tous les pays voisins, sauf l’Espagne, ont des niveaux de vie plus importants. 300 000 frontaliers français vont travailler de l’autre côté de la frontière chaque jour. Le premier pôle d’emplois est aujourd’hui le Luxembourg. Il y a une espèce de faiblesse française. Il est vrai que nos régions frontalières étaient des zones de charbon et d’acier qui ont donc subi toutes ces phases de restructurations industrielles dont on a l’impression qu’elles n’aboutiront jamais. J’avais également été frappé, lors du référendum de 2005 sur le projet de constitution, par le fait qu’en dehors de grandes villes frontalières (Lille, Strasbourg, Mulhouse), la plupart des circonscriptions avec des villes moyennes ou petites avaient voté non. Ces lieux qui devraient être des laboratoires d’européanisation ne le sont pas. La situation est différente à Strasbourg parce que l’État français proclame chaque jour que Strasbourg a une vocation européenne. Ce n’est pas le cas pour Thionville ou Metz. A Lille, la situation est en train d’évoluer suite à la saison culturelle européenne de 2004 et à la possibilité de souplesses législatives sous la forme des GECT (groupement européen de coopération territoriale). Le GECT Lille-Courtrai-Tournai ouvre la voie. Peut-être verra-t-on un GECT Thionville-Luxembourg mais ce sera plus compliqué dans la mesure où les luxembourgeois polarisent tout parce qu’ils sont riches et dans une phase de reconversion économique. Ils ont bien compris que la banque classique défiscalisée n’était pas l’avenir et ils investissent dans l’université et la recherche avec des moyens très importants. Tous ces échanges frontaliers sont bien étudiés par la mission opérationnelle transfrontalière. Il y a globalement une faiblesse française à la fois à cause de l’histoire industrielle de ces régions du nord et de la Lorraine mais, je crois aussi, à cause de la centralisation et du manque de confiance que l’État accorde aux acteurs locaux et régionaux. Le développement transfrontalier se joue d’abord localement. Le Président de la République a lancé, pour le pôle européen de Longwy, une opération d’intérêt national afin de créer du côté français des activités branchées sur l’université du Luxembourg. Il est temps de réinventer une politique d’aménagement du territoire en France en faveur des régions frontalières en considérant la frontière comme une ressource, un atout.
La CEDEAO ne marche pas parce qu’elle est basée au Nigéria et qu’il est compliqué de gérer les choses depuis Abuja. L’UEMOA joue son rôle parce qu’il s’agit d’une union monétaire. Ces structures sont sous-équipées humainement et sous-utilisées ce qui fait que les sommes considérables qui sont disponibles dans l’Union européenne, notamment via le fond européen de développement, ne trouvent pas d’utilité. Les groupements régionaux dans la corne de l’Afrique ne marchent pas. En Afrique australe, la SADC fonctionne bien mais c’est une espèce d’habillage pour la domination sud-africaine. Elle fonctionne en raison des intérêts communs. C’est dans cette zone (et peut-être en Afrique de l’ouest) que les coopérations sont les plus avancées. En revanche, en Afrique centrale, il n’y a pratiquement pas de coopération. Le Tchad et la République Centrafricaine sont des états en crise. La République démocratique du Congo se reconstruit progressivement. Alors que ce pays est un grand bassin minier qui dispose de nombreuses ressources, il est 48e sur 53 au classement jeune Afrique du PIB total. C’est un pays complètement sous-administré. La coopération régionale marche mieux en Afrique de l’ouest parce qu’il y a une meilleure administration que ce soit au Ghana, au Mali ou au Burkina. Mais regardez la Guinée qui est en crise. Il y a une sorte de malédiction de la ressource minière en Afrique. Les pays les plus riches de l’Afrique sont les pays les plus en crises politiquement. Pour revenir à votre question, je crois que la viabilisation de ces structures régionales devrait être une des priorités de l’Union européenne. Qu’en est-il des structures de coopération dans les autres régions du monde ? En Asie du sud, la coopération ne marche pas. En Asie du sud-est, elle fonctionne pour faire face à la pression chinoise. L’ASEAN est probablement la structure d’intégration régionale la plus avancée (projets de monnaie, banque asiatique de développement à Manille, etc.). Le Mercosur ne concerne que le Brésil et sa zone d’influence. Le Brésil est trop fort pour qu’il y ait un équilibre, contrairement à l’Europe où les États peuvent plus ou moins s’équilibrer. Notre intérêt est de promouvoir une organisation pluraliste du monde et sa viabilité est régionale au sens de regroupement d’États.
Les pays qui auraient le plus besoin de consacrer des budgets importants à l’équipement et au contrôle des régions frontalières souvent éloignées, marginales, n’en disposent pas. En dehors des pays du nord, l’Algérie, la Libye, le Maroc, le Brésil, les pays du golf, Israël, l’Inde, le Pakistan et la Chine ont les moyens d’avoir une politique frontalière. Les brésiliens viennent d’ailleurs de mettre en place un système de surveillance satellitaire. Ils ont de vraies capacités dans ce domaine. Nous devons nous méfier car Kourou n’est pas la seule base située sur l’équateur et nous avons avec les brésiliens des relations d’amitié assez complexes. Les algériens ont une vraie politique frontalière. Les libyens aussi. Les saoudiens et les américains sont ceux qui dépensent le plus pour leur sécurité frontalière. Les israéliens ont freiné leur construction de mur parce qu’elle coûtait beaucoup trop cher. Les mexicains n’ont pas de politique de contrôle, non par manque de budgets mais parce qu’ils laissent passer. L’Union européenne est en train de développer le budget de Frontex, basé à Varsovie, qui organise la coordination des moyens nationaux de surveillance aux frontières terrestres et maritimes de l’Union. Il y a un vrai marché de la surveillance des territoires que Thales, EADS et Safran commencent à découvrir. C’est intéressant au niveau industriel car ce sont des technologies duales : il faut exercer des contrôles démocratiques. On pourrait presque faire un travail spécifique sur l’économie de la frontière qui reste un luxe de riches. Que voulez-vous que les maliens fassent pour contrôler les incursions d’Al-Qaïda au Maghreb islamique ? A ce propos, en tant que géographe, je suis frappé par le fait que le Sahara ne soit plus une frontière migratoire et que ces espaces vides non contrôlés soient utilisés par des groupes qui ne nous veulent pas forcément du bien. Ce monde, où les frontières sont de plus en plus ouvertes, est un monde où il y a de plus en plus de bornes. Cycle national 2009-2010 La société face aux frontières de la science et de l’innovation Nouvelles ruptures, nouvelles cohésions |