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Histoire et débats publics en France, quels enjeux ? A propos du Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire : CVUH En France, l’histoire agite régulièrement l’opinion comme en témoigne la médiatisation récente autour du sort fait à son enseignement au lycée. Elle apparaît donc comme un bien commun. La question de la place et des différents usages publics de la discipline historique en France est centrale et fondamentalement politique parce qu’elle est intrinsèquement liée au pouvoir et à la citoyenneté. Le phénomène n’est pas nouveau, et certains historiens font remonter l’origine de cette passion française à la Révolution, ce moment où «Un seul instant a mis un siècle de distance entre l'homme du jour et du lendemain» comme l’écrivait Condorcet. Mais il a pris naturellement de l’ampleur au rythme de l’inflation médiatique, à la propension de la presse à relayer mais aussi alimenter les débats. Par ailleurs, les débats publics ont acquis une configuration spécifique ces dernières années. L’articulation entre Pour comprendre mieux les enjeux, il convient d’en revenir au contexte plus général des débats sur les lois dites « mémorielles ». L’expression « loi mémorielle » apparaît pour la première fois en cette année 2005. Elle regroupe et amalgame toutes les lois qui sont supposées interférer dans l’écriture de l’histoire en codifiant la mémoire collective : la loi Gayssot (juin 1990) qui pénalise l’expression publique de la négation du crime contre l’humanité ; loi de janvier 2001 sur la reconnaissance du génocide arménien de 1915 ; la loi Taubira (mai 2001) « tendant à la reconnaissance, par la France, de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité » ; la loi du 23 février 2005 enfin qui ouvre définitivement le vase de Pandore. En effet, le spectre d’une histoire officielle n’échappe à personne à la lecture de son article 4 : « Les programmes de recherche universitaire accordent à l'histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu'elle mérite. Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit. La coopération permettant la mise en relation des sources orales et écrites disponibles en France et à l'étranger est encouragée ». L’écho médiatique est considérable et permet enfin à un certain nombre d’historiens du fait colonial de prendre publiquement la parole. Les professeurs se mobilisent contre cette intrusion dans leur liberté pédagogique et leur praxis d’enseignement. Maladresse ? calcul politico-électoral2 ? En tout cas, à la suite de la mobilisation des historiens et des enseignants, le fameux article 4 de la loi du 23 février est officiellement abrogé le 15 février 2006 après saisie du Conseil constitutionnel. Depuis, une proposition de loi pénalisant la négation du génocide arménien a été déposée en octobre 2006. En février 2007, c’est le génocide des tsiganes qui fait l’objet d’une autre proposition portant reconnaissance d’un génocide. Enfin, les lois mémorielles semblent acquérir une dimension transnationale avec la décision-cadre de la Commission européenne dont l’objectif est de rendre le racisme et la xénophobie passibles de sanctions pénales dans tous les États membres. Dès 2005, les critiques à l’égard de ces lois se sont muées rapidement en controverse entre historiens. En effet, si la dénonciation de la loi du 23 février a fait l’unanimité dans la profession, la question plus spécifique du rapport de la loi à la mémoire collective est venue aviver des prises de position parfois franchement antagonistes. En juin 2005, le CVUH publie donc son manifeste dans lequel il reconnaît le rapport étroit entre la recherche historique et la mémoire collective, « même si les deux ne peuvent être confondus »3. Pour le CVUH, les historiens ont aussi leur rôle de citoyens à assumer. Se voulant « intellectuel collectif »4, le comité ne dénie pas la légitimité en soi aux lois de mémoire qui peuvent apparaître comme des déclarations d’une société sur elle-même, et qui, en ce sens, s’inscrivent dans la logique du fonctionnement démocratique. Que l’Etat, à travers sa représentation légitime, se prononce sur la mémoire collective n’a donc rien de choquant pour le CVUH. Mais chaque loi doit être analysée dans sa singularité. Il n’existe pas, pour le CVUH, de « loi mémorielle ». Surtout, le comité s’érige contre l’appropriation quasi privée du champs de l’histoire. L’histoire appartient à tous. Elle doit être discutée, débattue dans la sphère citoyenne. C’est ce qui s’est passé à propos de la loi du 23 février 2005, et la mobilisation citoyenne, aidée par la grille de lecture fournie par les historiens de la colonisation, a provoqué l’abrogation de l’article 4, un article antidémocratique à la fois par sa propension à donner une version orientée de l’histoire, et surtout sa volonté de à contraindre les enseignants à la diffuser. A rebours de cette incitation à sortir de leur tour d’ivoire, 19 historiens parmi les plus emblématiques du champ académique lancent un autre texte en décembre 2005 qui paraît dans Libération : « Liberté pour l’histoire »5. Cette protestation d’historiens répond à la conjoncture qui, cette fois, est fournie par les poursuites judiciaires pour négationnisme engagées par le "Collectif des Antillais-Guyanais-Réunionnais" à l'encontre d'Olivier Pétré-Grenouilleau, auteur d'un ouvrage sur les Traites négrières et qui, lors d’une interview, avait relativisé la qualification de « crime contre l’humanité ». Arguant de cette affaire pour fustiger les « lois mémorielles », les 19 lancent une véritable campagne pour obtenir la suppression de l’ensemble des lois qui relèvent, selon eux, de la même logique intrusive de l’Etat dans l’écriture de l’histoire. Cet appel a été signé par près de 700 universitaires et chercheurs, avant d'être relayé par l'Association des professeurs d'histoire et de géographie. Ils y soutiennent l’idée d’une autonomisation totale de l’écriture de l’histoire face au champ politique et rappellent le fossé épistémologique qui sépare l’histoire de la mémoire. Ils insistent sur la nécessaire liberté d’écriture de l’histoire et s’inquiètent des sujets « tabous » sur lesquels aucun historien n’oserait prendre le risque de se pencher. En octobre 2008, l’association lance son « appel de Blois » durant les Rendez-vous de l’histoire6 pour protester contre l’européisation des lois mémorielles. Depuis ce clivage de 2005, le CVUH De fait, les usages politiques de l’histoire semblent bien s’être accentués depuis la dernière campagne présidentielle, et les décryptages de ce qui s’est joué et se joue encore dans cette mobilisation inédite de l’histoire sont importants. Que l’on songe en effet à la dernière campagne électorale où le candidat Nicolas Sarkozy a montré un goût immodéré pour la mobilisation d’occurrences historiques dans ses discours. Que l’on observe la pratique actuelle du pouvoir où l’histoire est tour à tour objet de commémoration, d’émotion, ou de mise en scène spectaculaires. L’exemple de la lecture de la lettre de Guy Môquet illustrant au mieux ces trois aspects. Que l’on cautionne ou non ces multiples usages de l’histoire n’est pas la question primordiale. Mais cet usage spécifique du matériau historique devrait interroger les historiens et les enseignants. Ces détenteurs d’une légitimité scientifique ou pédagogique devraient avoir à cœur de mettre leurs outils d’analyse à la disposition de tous. Reste un dernier champ d’intervention du CVUH. Le lieu par excellence des usages publics de l’histoire : l’école. Car l’histoire scolaire, comme chacun le sait, n’est pas l’histoire académique. Elle est une discipline spécifique, chargée d’une finalité civique, qui lui confère sa propre écriture et sa propre épistémologie. D’une certaine manière, on pourrait considérer qu’un programme scolaire est une politique mémorielle dans le sens où il est le reflet qu’une société souhaite laisser de son passé à un moment donné. Dans son manifeste, le CVUH affirme sa volonté de décloisonner les mondes universitaires et scolaires afin de travailler à la pénétration des avancées de la recherche universitaire dans les programmes et les prescriptions scolaires. Il est donc naturel que sa vigilance s’exerce aussi à . Au final, le CVUH est-il un lieu politique ? Sans aucun doute. Un lieu politique au sens d’un espace d’expérience du collectif animé par la conviction des vertus critiques des sciences humaines et sociales. Un comité engagé dans la vigilance donc à l’égard de tout ce qui est susceptible de corrompre la portée émancipatrice de nos disciplines. Laurence De Cock, professeure d’histoire-géographie au lycée Joliot Curie de Nanterre, chargée de cours à l’université Paris 7, vice-présidente du CVUH. 1 Max Weber, Le savant et le politique, la découverte, rééd 2003 2 Sur la genèse de cette loi, lire la remarquable analyse de Romain Bertrand, Mémoires d’Empire, Le croquant, 2006. 3 Manifeste du CVUH, http://cvuh.free.fr/spip.php?article5 4 La formule s’inspire de Pierre Bourdieu. Voir Pierre Bourdieu, Interventions, Sciences sociales et actions politiques, Agone, 2002 5 http://www.lph-asso.fr/ 6 Les rendez-vous de l’histoire de Blois sont une rencontre annuelle du monde historien organisée à Blois. Chaque année, un thème particulier y est traité. L’appel de Blois a donné lieu à une publication : Françoise Chandernagor, Pierre Nora, Liberté pour l’histoire, CNRS édition, 2008. 7 4 ouvrages ont été publiés dans le cadre de la collection « Passé/Présent chez les éditions Agone : Gérard Noiriel, A quoi sert l’identité nationale ? (2007) ; Laurence De Cock (et alii), Comment Nicolas Sarkozy écrit l’histoire de France (2008) ; Catherine Coquery-Vidrovitch, Les enjeux politiques de l’histoire coloniale (2009), Laurence De Cock et Emmanuelle Picard, La fabrique scolaire de l’histoire (2009). |
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