EDITORIAL
90-91
SOMMAIRE
Juin -Juillet -Août 1991 -n° 52 Éditorial
Les enfants tsiganes aussi
Jean Le Gai Musique tsigane - Musique indienne
Vania de Gila-Kochanowski
Le cirque
par l'école de Verlhaguet Manitas de Plata, une légende.
A. Laurent-Fahier et E. Debarbieux Notre vie
Marie Cannizzo, école Léo Lagrange,
Villeurbanne
A l'école du grand-père
Joël Grimaud Sandra Jayat, un destin exceptionnel.
Ariette Laurent-Fahier Le char des gens du voyage
Lydia et Fernand Bénicourt Babik Reinhardt, entre racines et libertés
Éric Debarbieux
Brancaléoni
Sandra Jayat Aline, des tâtonnements à la réussite.
Jean Le Gai Georges Viccini, étameur sur cuivre
Éric Debarbieux
Histoire d'une fleur
Benoît Gramond et l'école du Ramier
Tél-
2 4
9 11
13
15 (Montauban)
T" siganes
I un peuple, une culture..
Les Tsiganes n'apparaissent plus que très rarement avec une roulotte tirée par un cheval. Ils ont maintenant une caravane tirée par une voiture, ou ils habitent des maisons et des appartements... Et pourtant ils dérangent, ils étonnent. Car ils constituent un peuple avec son histoire et sa culture. Peuple et culture en France.
Loin de leur reconnaître cette culture, on cantonne souvent le Tsigane dans le stéréotype du « cas social », du « vagabond » et du « voleur de poules ». Ou, au mieux, on fait de leur culture une seule culture d'emprunts.
Avec les artistes tsiganes, avec les familles qui nous ont aidés à réaliser ce numéro de Créations, nous avons voulu donner à voir leurs œuvres. Elles viennent d'une origine très ancienne : de l'Inde, où leur culture a pris racine. Elles se sont enrichies avec les migrations, et ont enrichi les pays traversés. Elles se particularisent suivant les routes empruntées : Rom, Gitans, Manouches ont développé leur art en Europe orientale aussi bien qu'en Espagne...
Mais l'art tsigane n'est pas qu'une langue morte. La création tsigane n'est pas que le folklore dans lequel trop souvent on l'enferme. Artistes contemporains, enfants qui saisissent leur présent nous disent avec passion que leur art est une langue vivante. En continuel surgissement.
II ne faut jamais oublier que, dans des conditions souvent difficiles, marquées de rejets et de refus de leur différence, ils ont créé en se créant. « L'Art venge la vie » (Pirandello).
■ Ariette Laurent-Fahier
Photographies : Marie Cannizzo : p. 3, 17 - Éric DEBARBIEUX : p.9, 1 3, 1 4, 42, 43 - Sandra JAYAT : couverture I et IV, p. 14, 20 à 25 - Fernand BÉNICOURT : p. 26, 27 - Studio Théo : p. 28 à 30 - Giuliano Brancaléoni : p. 31 à 34.

Ce numéro de Créations n'aurait pas été possible sans les réseaux tissés depuis des années par Ariette Laurent-Fahier Il a été coordonné par Ariette Laurent-Fahier et Éric Debarbieux avec l'aide de Benoît Gramond. Nous tenons à remercier tous les tsiganes qui ont compris ce projet et nous ont accordé leur confiance.
o° -
es mm £ .. JMp
S epuis 25 ans, j'ai accueilli, dans notre classe de perfectionnement de l'école de Ragon à Rezé (Loire-Atlantique), de nombreux enfants tsiganes de 10 à 13 ans dont les familles sont implantées dans le quartier. I Dans le domaine de l'expression, qu'elle soit graphique, picturale ou poétique, j'ai été frappé par quatre éléments :
les enfants tsiganes ont évidemment la même attitude que les autres enfants par rapport aux techniques d'expression que je propose ;
les filles montrent un acharnement plus grand que les garçons pour les ateliers « Art Enfantin » et s'y investissent avec plus de persévérance et de plaisir ;
les thèmes abordés sont souvent les mêmes, liés à notre environnement commun, mais y apparaissent parfois des éléments spécifiques de leur vie :
activités autour des caravanes ;
dames aux longues robes fleuries.
1 Les enfants de certaines familles montrent une sensibilité particulière, comme en témoignent les poésies d'Anita ou les créations picturales d'Aline (voir p. 35).
Sachons écouter et regarder ce qu'ils nous offrent...
■ Jean Le Gai »».r^Sii1
enfants) aussi. . LES VOYAGEURSIl était une fois des voyageurs avec un cheval.La route était barrée alors ils ont retourné leur roulotte et ils sont repartis.Ils ont vu une place, dans un village. Ils ont dit : « On va s'arrêter ! »Les gendarmes sont venus pour les faire partir.Alors ils sont repartis vers une autre place, sur la route, à l'aventure. Quand j'écoute la musique, je crois que je danse une si belle valse que je danserais toute la journée, où que je sois, dans un bois ou assise près d'un ruisseau qui coule doucement.
Nadine
Roger Tout m'appelle m'appelle Je reconnais mon nom depuis des mois aux yeux bleus aux cheveux châtains c'est mieux qu'un dessinJe suis gentille et pleine de courageRien ne change en moi ni mon nom ni mes cheveux ni mes yeuxLa vie est belleTout le monde m'y appelle « en ronde jolie demoiselle »Je suis toujours pareille c 'est beau c'est une merveilleJ'aime la vie et je voudrais vivre longtemps et je voudrais qu'on m'appelle de loinet de près.Anita
¿•otetTid«as / ii . ■ * LvtrS"^ J'ai entendu chanter l'oiseau du matin il était à ma fenêtre l'oiseau du chagrin J'ai mis du pain dans ma main mais il n'a pas voulu manger l'oiseau de l'amitié Alors j'ai pris le pain et je l'ai mis dans une assiette et il est venu picorer l'oiseau de Violette
Violette limi Kf*®1 11®
Sandra Jayat 70
Giuliano Brancaléoni 81
Hjsra>m 104
un nez
deux oreilles et une bouche
Toi
toi qui penses à la vie au monde
à ce que tu dis
Toi
toi qui as une bouche pour parler crier rire
et dire l'amitié
Toi
toi qui as deux yeux pour regarder pour voir et pleurer
Toi
toi qui as la vie triste tu travailles tu as un patron tu le bouscules tu dis pardon
Toi
toi qui es célibataire
tu travailles seul sur la terre
Toi1
toi qui as une femme des enfants
tu travailles pour les nourrir
Toi
qui as une famille loin loin
très loin
Toi
toi qui voudrais aller auprès d'eux tu sais penser ça se voit
ça se voit dans tes yeux
Toi
toi qui te mets à genoux
devant le ciel pour prier Toi toi qui penses au bonheur Toi qui penses à l'amitié
Mon enfantJ'irai décrocher la Lune pour un enfant qui l'attend depuis longtempsJ'irai dans les montagnes pour voir les bergers dès le matin levésJe raconterai tout cela à cet enfant qui l'attend depuis tellement longtempsViolette

. k. •• • .,'Î! ..•..il..'!* ••.'.>.':,.' - :
■ «» «HjflBBMttf W * s : - ■ »
La Lune indiscrète, pas un cheveu sur la tête, regarde par la fenêtre.Elle achète de la boursette, la mange avec sa fourchette.Elle se fait rouler dans une poussette avec sa petite chemisette et sa bavette.Le matin, elle se lave dans une cuvette, prend sa savonnette et fait sa grande toilette.Puis elle mange des rillettes dans sa maisonnette. Papillons
quand vous vous mettez à voler on dirait un jour de fête
Andrée Ton cœur
sur mon cœur
fait une chansonnette Mon bonheur et le tien
commencent Andrée Anita Musique Tsigane
Babik Reinhardt Musique Indienne*
Malheureusement les Roma, en écoutant cet ersatz de leur musique, se mirent peu àpeu à la jouer- pour les gajé d'abord, puis pour eux-mêmes. On ne peut s'empêcher de faire la comparaison suivante : dès leur apparition en Europe, les Romané Chavé mentirent si bien en prétendant être des pénitents égyptiens qu'ils finirent, avec le temps, par y croire eux- mêmes, en oubliant leur vraie origine. Aujourd'hui, en ne voulant pas prostituer leur musique, ils en jouent le fac-similé auquel ils prennent goût, en oubliant leur propre musique.
La radio-télévision française a réalisé en 1954 une importante émission sur la musique romani au cours de laquelle ont été abordés, pendant près d'un mois, différents points de vue sur le fond et la forme de cette musique. Au terme de cette émission, on s'est mis d'accord pour constater que îa musique romani a dominé en Europe jusqu'en 1925, avant qu'elle ne soit évincée par la musique africaine sous la forme du jazz. On a également relevé le fait qu'aucun compositeur n'a échappé à l'influence de la musique romani,même les plus classiques d'entre eux, comme J.-S. Bach, dont le fils Wilhelm-Friedcmann s'intégra d'ailleurs pendant quelques années à une tribu nomade de Roma allemands.
Comment s'est produite cette évolution ? Dès la conquête par les musiciens tsiganes des capitales d'Europe, une nuée de compositeurs sans talent se précipitèrent pour imiter cette musique. Un des plus grands indologues-tsiganologues russes, Barannikov***, a stigmatisé ces « ignobles voleurs » : à s'altérer, à se disloquer lorsque les chanteurs et danseurs tsiganes quittèrent leurs clans pour aller chez les magnats et seigneurs terriens qui les entretenaient comme un produit exotique. De là, les Tsiganes passèrent dans les restaurants. Alors apparaissent des « bousilleurs » qui volent et transforment d'une manière impie les motifs tsiganes et couvrent le marché de leur innommable musique de rebut. Cette soi-disant « musique tsigane authentique » coule dans le ruisseau trouble du pseudo-tsiganisme... Parfois, comme un éclair, surgit une variation de talent sur un thème tsigane, mais le reste n'est qu'un terrible standard de la platitude [...] »
* Résumé du chapitre sur la danse et la musique romane, faisant partie de mon Doctoral d'Etat sur l'identité romani (Toulouse-Le tVlirail, 1984).
** Paris (1859), 500 pages.
*** Izueenie Cygan SSRR ; Etude des Tsiganes de l'URSS, Léningrad (1929).
uand on pense à l'œuvre de Franz Liszt « Des Bohémiens et leur musique »**, jamais on n'écrira des pages aussi sublimes sur la musique tsigane, non seulement parce qu'il était lui-même d'ascendance tsigane et connaissait parfaitement la musique romani, mais aussi parce que la gloire de notre musique et de ses créateurs-exécutants est hélas, révolue. On constate partout en Europe une baisse considérable du standard musical parmi les Roma.
née, éphémère, se produit dans le moule de leur tradition musicale, qui « ressort du système de leurs gammes auxquelles ils adaptent intuitivement toutes les mélodies qu'ils ont à interpréter, des conditions rythmiques et mélodiques à l'aide desquelles sont construites leurs mélodies. » (p. 2647)
Il existe donc bien des mélodies tsiganes (il s'agit ici du contenu et non seulement de la forme du folklore romano) attestées par tous les chercheurs sérieux, et mon ami Haïdu, ethno-musicologue hongrois, m'a montré un recueil impressionnant de chansons tsiganes en dialecte rumungro et, particulièrement, en lovari de Hongrie.
Quant à quelques ressemblances de la gamme tsigane avec celles du Japon, de la Birmanie, de la Chine... rappelons-rtous le prestige de la culture indienne durant les règnes d'Ashoka d'abord et, plus tard, de Kanishka dont l'empire s'étendait à cheval sur l'Asie centrale et l'Inde. Pour comprendre ces ressemblances, il faut comparer lamusique indienne avec celle de ces peuples, car plus une musique ou une danse ressemblent à la musique indienne, plus elles ressemblent à la musique et à la danse des Romané Chavé**.
■ Vania de Giln-Kochanowski On peut observer une symbiose merveilleuse du génie indo-romano avec celui des musiques russe, espagnole, hongroise et, plus ou moins, avec celui de la musique de toute l'Europe centrale. En Inde, c'est la musique héroïque - l'interprétation chantée des vers tirés de Râmâyana et de Mahâbhârata - qui se rapproche d'une manière très frappante de celle des Roma du Nord. Quant au flamenco, on peut l'entendre souvent dans les mariages des Râjput, mais le flamenco indien est plus soutenu et possède plus de modulations de voix que celui de l'Espagne. Donnons maintenant la parole au compositeur Gaston Knosp*, qui a vécu à l'époque de la génération de mes parents, quand le prestige de la musique romani était encore assez grand. A la lecture des quelques extraits suivants, on s'aperçoit que Knops, même en voulant nier comme d'autres musicologues l'authenticité de notre musique, montre plutôt son existence et confirme l'essentiel de ce que son illustre prédécesseur, Franz Liszt, a écrit. C'est ainsi qu'il se contredit (à sixpages d'intervalle !) en disant : « Les Tsiganes sont nés musiciens et possèdent une faculté d'assimilation considérable [...] Quant à la musique tsigane, elle n'existe pas à proprement parler ; ce sont des interprètes, pat fois géniaux, mais non des créateurs (p. 2646) [...] Quant à la rhapsodie, il va de soi qu'elle échappe à l'analyse, sa liberté d'allure, exempte de toute sévérité scolas- tique, étant un des charmes essentiels de ce genre, qui tient surtout de l'improvisation la plus fantaisiste. C'est dans ce genre que nous sommes à même d'apprécier la diversité des rythmes, tes modulations les plus extravagantes qu'affectionnent les musiciens tsiganes |...] Ces maîtres de l'impromptu dont l'érudition n'était malheureusement pas à la hauteur de leur génie créateur, et qui ne furent pas à même d'écrire et de nous transmettre leurs inspirations. » (p. 2650) De plus, cette création sponta- * Encyclopédie (le la musique et Dic- (ionnairc du conservatoire. Delagrave, Paris, 1922, pages 2646 à 2655.
** Cf. mes articles « Tsiganes noirs... Tsiganes blancs », in Diogène, n° 63 (1968), pages 27 et suivantes, et « Migrations aryennes et indo-aryennes », in Diogène. n° 149 (1990), pages 122 et suivantes.
■ Vania de Gila-Kochanowski est né en 1920 à Cracovie (Pologne), de parents tsiganes balto-slaves. Naturalisé français en 1959, il est titulaire d'un Doctorat de linguistique (université de Paris-V), et d'un Doctorat d'Etat en ethno- linguistique : Identité des Romané Chavé (Tsiganes d'Europe), assimilation ou intégration ? A paraître en septembre 1991 :/?6>m<3/icM/mo(L'Âme tsigane),Éditions Wallada,et en 1992 -.Contes et récits, en romani avec traduction française, commentaires et lexique romano-français, Éditions Wallada.
LA REALITE DE
LA MAGIE DU CIRQUE■ Les enseignants de l'école de Verlhaguet de Montauban ont le souci de prendre en compte toutes les cultures présentes dans leur école, dont la culture tsigane. Le Projet Cirque qu'ils ont élaboré vient en renfort dans le dispositif d'accueil puisqu'il fait appel à l'identité du voyage qui, depuis des siècles, a su faire vivre ses spectacles et a développé une richesse culturelle indéniable.Fortement enraciné dans l'histoire des communautés tsiganes, ce thème reste une motivation forte lorsqu'il fait appel à l'expression et à la créativité. Le cirque, domaine qui attire beaucoup les enfants, est promoteur d'émotions, de désirs. Il favorise et motive apprentissage et approfondissement, ceci dans toutes les classes. A
AA
Nous ne présentons ici qu'une petite partie d'un travail en cours, qui concerne aussi bien la lecture que récriture, la réalisation d'un spectacle que l'art plastique. « Qu'il est difficile de faire rire les honnêtes gens I » Molière Et au retour du cirque... il y a « |