télécharger 233.92 Kb.
|
ESSAI SUR LA NOTION DE CYBERCRIMINALITÉ Par Mohamed CHAWKI Membre du Conseil d’Etat Doctorant en Droit Pénal de l’Informatique à Lyon III « La cybercriminalité est la troisième grande menace pour les grandes puissances, après les armes chimiques, bactériologiques, et nucléaires » Colin ROSE INTRODUCTION
De même, les infractions informatiques ont le plus souvent un caractère international, alors que les informations en elles-mêmes sont des données régies par le droit national5. Dans cette optique, les flux d’informations parcourant librement les autorités chargées de l’enquête sont, elles, strictement liées par leur compétence territoriale nationale et par le principe de souveraineté6. Chaque législateur essaie soit de se protéger sur son territoire, soit d’abdiquer sa compétence législative face à ces actes illicites, soit d’observer et de légiférer aussi peu que possible, ce qui constituer une solution efficace7. Cependant, cette situation est insatisfaisante, car elle plonge les internautes8 dans un réseau de normes multiples, source d’insécurité juridique9. Ainsi, organiser la lutte contre la cybercriminalité, c’est tenir compte de l’ensemble de ces paradoxes. Il est nécessaire de considérer les intérêts de chacun afin de parvenir à un équilibre. Les pays qui, pour lutter contre la cybercriminalité, tentent de restreindre l’usage d’Internet comme moyen pour commettre des infractions, s’opposent aux Internautes qui brandissent l’étendard de la liberté de circulation de l’information au niveau mondial10. Afin d’appréhender ce phénomène, il est important d’élaborer une définition pratique de ce qu’est la cybercriminalité. Cependant, cette notion est méconnue, peu ou pas définie, son étendue, ses causes ne sont pas clairement établies11. Les raisons sont multiples12, dont la plus présente est certainement la frilosité vis-à-vis des N.T.I.C13. Les personnes concernées n’ont pas de réelles connaissances de la cybercriminalité, soit parce qu’elles considèrent que celle-ci est trop « compliquée » et hésitent à donner des définitions, ou des solutions à un problème qui change de forme rapidement, soit au contraire parce qu’elles la sous-estiment, phénomène classique dans les politiques de sécurité des Etats14 et des entreprises. Pour ces raisons, notre article s’interroge sur la notion de cette criminalité. Il commence par conceptualiser la cybercriminalité (Section 1), puis à faire une distinction entre cette dernière et les criminalités apparentées (Section 2). SECTION I LE CONCEPT ET L’OBJET DE LA CYBERCRIMINALITÉ
A) – L’absence de définition légale de la cybercriminalité
La nécessaire clarification des actes qui relèvent de la cybercriminalité a conduit la doctrine à multiplier les notions désignant les actes illégaux en rapport avec l’informatique. Cette démarche a engendré une pléthore de définitions doctrinales de la cybercriminalité en Europe (1) et aux Etats-Unis (2). 1. Une pléthore de définitions adoptées en Europe
Pour l’Office fédéral de la police suisse, la cybercriminalité s’entend « des nouvelles formes de criminalité spécifiquement liées aux technologies modernes de l’information, et de délits connus qui sont commis à l’aide de l’informatique plutôt qu’avec les moyens conventionnels »22. Enfin, le Collège canadien de police définit la cybercriminalité comme « la criminalité ayant l’ordinateur 23 pour objet ou pour instrument de perpétration principale »24. Cependant, ces définitions ne sont pas complètement définitives : la définition adoptée par le ministère de l’Intérieur français vise seulement les infractions dirigées contre les réseaux de télécommunications. Elle ne recouvre ni les infractions susceptibles d’être commises sur les systèmes informatiques, ni les infractions directement générées par le fonctionnement des réseaux informatiques. Il s’agit des infractions portant sur l’information véhiculée par le système informatique comme l’escroquerie, l’abus de confiance, et les atteintes aux libertés individuelles par la création illicite de fichiers nominatifs25. De même, la définition proposée par l’O.N.U. utilise le terme comportement illégal pour se référer à la cybercriminalité. Cependant, un comportement peut être considéré illégal dans un Etat et légal dans l’autre. Enfin, les deux dernières définitions considérées par l’Office fédéral de la police suisse, et le Collège canadien de police utilisent des termes très larges qui peuvent recouvrir la cybercriminalité, et la criminalité informatique en même temps. Ces confusions nous ont conduit à nous interroger sur quelques définitions adoptées aux Etats-Unis. 2. Une pléthore de définitions adoptées aux Etats-Unis
B) – La proposition d’une définition
1. Le cyberespace : mythe ou réalité ?
Le cyberespace se présente comme un espace indéfini. Un espace virtuel 37 d’ordinateurs tous reliés entre eux grâce à des réseaux qu’explorent les « cybernautes », dont les systèmes nerveux sont directement branchés sur les réseaux grâce à une prise fixée sur leur crâne38. Le cyberespace comporte beaucoup de caractéristiques qui prennent de l’importance lorsqu’on envisage la problématique de sa régulation. Il peut être considéré comme une « illusion », c’est « une hallucination consensuelle »39. Il peut être considéré aussi comme une réalité, mais une réalité dans « un monde virtuel ». Un monde d’ordinateurs en réseaux de télécommunications, de logiciels et de données informatiques, avec une présence sentie dans un monde physique, c’est donc une « réalité virtuelle »40. Le cyberespace est un espace complexe à comprendre41. Il est à la fois naturel et artificiel. Naturel car sa source est naturelle : le monde réel. En même temps il est un espace artificiel. Tout d’abord, le langage utilisé est artificiel - celui des mathématiques- en commençant par le codage fondamental (0,1) et en finissant par des équations mathématiques de plus en plus élaborées42. Ces équations sont comme le germe d’une infinité d’images dont la plupart n’ont pas de correspondance dans le monde naturel. Le cyberespace est aussi artificiel parce qu’il résulte d’une technologie sophistiquée, mise en oeuvre par l’être humain43. Le cyberespace agit comme un transformateur du réel en imaginaire44, et du réel en imaginaire. Une véritable transformation, réelle, imaginaire est possible grâce à l’information quantique, par exemple, la substitution de l’argent substantiel (papier) par la monnaie informatique n’est qu’une illustration élémentaire de cette transformation d’une grande généralité45. À cet égard, il n’est ni déterminé ni indéterminé, il permet la mise en jeu de la notion de niveau de réalité et de la logique du tiers inclus. Il est potentiellement un espace transculturel, et transnational, c’est donc l’espace du choix humain46. Le cyberespace ne résulte pas d’une conception consciente globale, et n’est certainement pas guidé par une idée simple ou un plan. C’est un « réseau » où des idées disparates sont constamment façonnées en de nouvelles fonctions, de nouvelles structures, de nouveaux protocoles qui sont ajoutés au système existant. C’est un système sans principes de base ni formats de conception définis et immuables47. Ainsi, nous pouvons affirmer que :
Ainsi, le cyberespace peut apparaître comme un nouveau monde, un continent inconnu à découvrir sans limites restrictives apparentes59. 2. L’évolution de la délinquance dans le cyberespace
Le mot « délinquant » renvoie étymologiquement au terme latin « delinquere » signifiant commettre une faute61. En droit pénal, le délinquant est défini comme « l’auteur d’une infraction pénale, qui peut faire l’objet d’une poursuite de ce chef»62. Dans ce sens, le délinquant informatique serait la personne qui commet un délit informatique63. Certains auteurs (ROSE et PARKER)64, écartent la notion de délinquant informatique, au profit de celle de criminel informatique ou de fraudeur informatique. De son coté, M. LUCAS préfère le terme « délinquance informatique » au terme de « fraude informatique », du fait de l’harmonie qui s’opère entre le sens littéral du mot délinquant et son sens juridique65. La connaissance de la délinquance informatique demeure très difficile, à cause de son hétérogénéité. Au vu de certaines études effectuées66, la délinquance informatique se diffère de la délinquance classique, car cette primaire « se compose de délinquants spécialisés jeunes par hypothèse, considérés comme employés modèles occupant un poste de confiance dans la direction d’une entreprise. Généralement motivés par le caractère du jeu et du défi qu’apporte l’idée de tromper l’ordinateur »67. Pour les auteurs, les délinquants en informatique sont insensibles aux valeurs qui n’ont pas d’incidences matérielles. L’éclatement de la relation binaire « auteur-victime » engendre l’absence de scrupule. Le délinquant en informatique ne bénéficie pas de l’image stéréotypée du délinquant classique, qualifié de respecter par son statut social et son niveau culturel. La délinquance informatique étant peu violente, elle n’épouvante pas les victimes. Dans cette optique, M. ROSE distingue : (a) l’utilisateur qui recherche le profit d’un capital financier ; (b) les destructeurs qui composent une frustration professionnelle ou personnelle et qui ne commettent que dans le but de nuire aux entreprises ou aux organisations ; et (c) l’entrepreneur qui vise l’activité ludique et le défi des agressifs qui compensent une frustration personnelle ou professionnelle68. De son coté M. BOLONGA isole quatre types de délinquants : (a) l’utilisateur qui recherche le gain financier ; (b) l’utilisateur qui recherche une reconnaissance sociale ; (c) l’utilisateur qui recherche la perte du sens des réalités ; et enfin (d) l’utilisateur ayant un comportement idéologique, qui veux se venger de la société69. Associé au développement de l’ordinateur, le délit informatique ne voit le jour qu’à la fin des années cinquantes70. Cependant, le premier délit lié à l’informatique et identifié comme tel puis poursuivi au niveau fédéral, aurait été réalisé en 196671. En France, l’une des premières études relatives à la fraude informatique a été réalisée fin des années soixante-dix par un groupe de travail de l’Association française de normalisation (AFNOR)72. Ensuite en 1980, l’Institut des Sciences Criminelles de la Faculté de Droit de Poitiers a publié son étude sous « Le Droit Pénal Spécial Né de l’Informatique ».Dans cette optique, l’on peut considérer la délinquance informatique comme un phénomène récent lié au développement technologique et à l’utilisation des ordinateurs. L’émergence des réseaux informatiques transnationaux a mené à la naissance des pirates informatiques ou des hackers73. Ce développement de technologie des télécommunications a substitué la « délinquance informatique » à la « délinquance informationnelle », ou la « criminalité informatique » à la « cybercriminalité ». Cela a permis aux délinquants de sortir du champ d’incrimination des infractions liées à l’informatique et d’entrer dans le champ d’incrimination des infractions liées au cyberespace. Dans ce dernier, les systèmes informatiques correspondent généralement à tous les composants fonctionnels d’un ordinateur74. Ils évoluent entre deux éléments : le matériel et le logiciel75. Ce dernier traite automatiquement les informations lesquelles sont échangées par les réseaux76. Les systèmes informatiques sont tous reliés entre eux grâce aux réseaux de télécommunication77. Ces réseaux permettent aux systèmes informatiques de partager les programmes, les données et les matériels périphériques78. Dans notre étude, les réseaux de télécommunications seront aussi regroupés dans une catégorie avec les réseaux informatiques. Aujourd’hui, le réseau Internet est un exemple type d’un réseau informatique où les ordinateurs sont connectés et sont capables d’échanger les données entre eux79. La généralisation de l’accès à l’informatique de réseau, et notamment à l’Internet, a uniformisé les différentes formes de délinquance informatique du fait de deux critères constants, à savoir le caractère transnational de l’infraction et l’atteinte à l’information. Par conséquent, la probable utilisation des systèmes informatiques par la délinquance traditionnelle, et la probable mutation de la « délinquance informatique » en une « délinquance de l’information », laisse supposer que la « délinquance traditionnelle » deviendra « informatique » par les moyens qu’elle utilisera. À cet égard, on peut identifier une grande variété d’agissements délictueux au sein du cyberespace. Il est, d’une part, devenu le vecteur d’un certain nombre d’infractions « classiques » tout en amplifiant leur portée (a), et d’autre part, il est l’objet d’infractions dites informatiques(b). |
![]() | «chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi». Le Conseil constitutionnel, quant à lui, ne l’a jamais reconnu,... | ![]() | «hacké» toutes les 18 secondes, et 90 des entreprises américaines auraient été victimes d’un piratage au cours des douze derniers... |
![]() | «Le crime, la guerre et le droit», essai inédit : Robert de Sarrebrück ou l’honneur d’un écorcheur, université de Lille III | ![]() | «un ensemble complexe qui comprend les connaissances, les croyances, l’art, le droit, la morale, les coutumes et toutes les autres... |
![]() | «Le roi c’est moi» Louis XIV. Les décisions prises par les gouvernants sont imputables à l’Etat, personne morale | ![]() | «Informatik» est créé par l'ingénieur Karl Steinbuch dans son essai intitulé «Informatik: Automatische Informationsverarbeitung»,... |
![]() | «Rapprocher les Français», Short Edition est accompagnée dans son programme d’innovation technologique par oseo (bpi france) conduit... | ![]() | «vision du monde» nazie. Une introduction par Johann Chapoutot, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris III et membre... |
![]() | ![]() | «La mise en place des alliances entre les grandes puissances européennes est-elle aux sources du premier conflit mondial ?» |