Le Père Chaminade et le Pape La fête de la Chaire de saint Pierre, le 22 février, 1 honore la charge suprême de l’Eglise demeurée au cours des âges dans la succession du Pêcheur de Galilée sur le siège épiscopal de Rome. 2 Aussi, cette fête nous invite-t-elle à examiner les rapports du P. Chaminade avec le(s) Pape(s). Un rapide tour d’horizon de l’histoire de la papauté permet de considérer que le P. Chaminade est témoin et, d’une certaine manière, partie prenante du retournement de l’influence de la mission apostolique du Pape. Durant le siècle des Lumières, la papauté connaît un repli sur elle-même et est traitée en puissance négligeable et en puissance étrangère par les monarchies européennes : « Le pouvoir spirituel de Rome tombe depuis quarante ans avec l’accélération des corps graves dans leur chute » (Duclos, 1760). Avec l’invasion de l’Italie par les armées révolutionnaires, il semble invraisemblable que le Pape puisse survivre. Or quelques années suffisent pour renverser la situation, et très rapidement le prestige de la papauté auprès des fidèles et des responsables politiques se révèle supérieur à ce qu’il a été au cours des deux siècles précédents. 3 La déférence du P. Chaminade à l’égard du Pape s’explique en partie par l’éducation reçue et les vicissitudes de l’histoire dont il est témoin : plus que la théorie, l’action a façonné notre fondateur. 4 Le jeune Guillaume-Joseph est confié à son frère aîné Jean-Baptiste qui a été novice jésuite avant la dissolution de la Compagnie de Jésus ; 5 or un des traits essentiels de la spiritualité ignatienne est la fidélité au Pape. 6 Par ailleurs, au début de la Révolution française, la Constitution civile du clergé oblige le P. Chaminade à opter clairement pour son attachement au Saint-Siège. Bien que dans sa genèse la Constitution civile du clergé ne se veuille pas antichrétienne, le texte est néanmoins vicié par la méconnaissance des droits du Saint-Siège et du caractère propre de l’Eglise. De fait, le serment à la Constitution civile, exigé par l’Assemblée constituante, scinde l’Eglise de France en deux : l’Eglise constitutionnelle et l’Eglise réfractaire fidèle à Rome. 7 Le 9 janvier 1791, le P. Chaminade, convoqué à l’Hôtel de Ville de Mussidan avec ses frères pour faire connaître sa disposition par rapport au serment, refuse de s’y soumettre et explique au peuple le motif de son refus. 8 Nous connaissons la suite de son action à Bordeaux durant la Terreur… La période révolutionnaire achevée, au terme d’un service comme administrateur du diocèse de Bazas, Rome accorde au P. Chaminade diverses faveurs pour le récompenser de ses actions. Mais celui-ci n’accepte que le seul titre de Missionnaire apostolique : à cette époque, cette distinction est donnée ad honorem à des prêtres diocésains, notamment à ceux qui sont affectés aux missions paroissiales. 9 La mission est la vocation spéciale du Père Chaminade : évangéliser afin de ramener les fidèles dans l’Eglise. Par son titre de Missionnaire apostolique, le P. Chaminade se considère comme investi de cet apostolat par le Souverain Pontife lui-même. 10 Par la suite, le P. Chaminade recourt régulièrement à Rome pour voir confirmer son apostolat. Ainsi en 1803, obtient-il du Saint-Siège une Bulle qui approuve la Congrégation (de laïques) de Bordeaux en lui accordant des indulgences ; 11 approbation de nouveau donnée en 1819. 12 Lors de la demande de 1819, le P. Chaminade porte à la connaissance du Souverain Pontife ce qu’il a entrepris avec les fondations des Filles de Marie et de la Société de Marie. Le P. Chaminade ne veut « rien entreprendre sans en informer le Père commun des fidèles. » 13 Toutefois, il convient de relever que le P. Chaminade ne sollicite jamais Rome sans avoir au préalable l’appui des évêques dans les diocèses desquels il a des établissements. 14
En 1838, il sollicite l’approbation définitive de Rome de la Société de Marie et des Filles de Marie et de leurs constitutions respectives. 15 Le fondateur n’obtient pas tout ce qu’il désire, cependant Grégoire XVI lui adresse un décret de Louange des deux Instituts en 1839. 16 La circulaire pleine d’émotion du P. Chaminade, envoyée aux Frères de Marie, donnant communication du décret de Louange, illustre l’importance qu’attache le « Bon Père » aux paroles du Souverain Pontife : « Mes chers Enfants, … lorsque, à l’avenir, je vous rappellerai l’esprit de nos Constitutions, … vous détournerez vos yeux de notre indignité personnelle, pour ne plus voir en nous que le Vicaire de Jésus-Christ lui-même… » 17
A la fin de sa vie, dans le conflit qui l’oppose à ses successeurs, le P. Chaminade recourt à l’arbitrage de Rome. 18 Du fait d’erreurs et de tromperies, le fondateur n’obtient pas gain de cause, cependant il écrit : « J’accepte la nouvelle décision de la Sacrée Congrégation, comme venant de Jésus-Christ même ; je m’y soumets purement et simplement ; je m’y soumets avec joie. » 19 Les notes d’instructions rédigées entre 1802 et 1809 permettent d’appréhender la pensée du P. Chaminade relative au Pape : « L’unité de pasteur peut être considérée et dans Jésus-Christ seul pasteur proprement dit, pasteur invisible, et dans le Pape, son vicaire, pasteur visible. Dans le Pape, il faut considérer sa primauté d’honneur, sa primauté de juridiction, l’indéfectibilité de sa foi ou son infaillibilité, enseignant, décidant comme chef de l’Eglise… » 20 La déférence du P. Chaminade pour le Pape est la conséquence de sa foi au Christ et à son Eglise : « L’Eglise chrétienne est la société des fidèles qui sont réunis par la profession d’une même foi et par la participation aux mêmes Sacrements, sous l’autorité des pasteurs légitimes, dont le chef visible est le Pape, évêque de Rome, successeur de saint Pierre, vicaire de Jésus-Christ sur la terre. » 21
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