Le croissant et le chaos
De Olivier Roy0
Olivier Roy s’est imposé depuis une quinzaine d’années comme l’un des tous premiers spécialistes mondiaux de l’islamisme. Les événements du 11 septembre l’ont propulsé aussi bien sur les plateaux de télévision que dans les «war rooms» des «think tanks» et des administrations européennes et américaines. Ce livre est d’ailleurs pour partie le fruit de cette expérience. Contrairement à plusieurs de ces précédents ouvrages sur l’Asie centrale, l’Iran, l’Islam politique ou Al Quaïda, il signe cette fois-ci un essai destiné tant aux décideurs politiques et militaires qu’à un public averti ou voulant le devenir car souhaitant se prononcer en toute connaissance de cause sur les enjeux de l’heure. Son objectif est ici de dénoncer l’approche idéologique des relations internationales qui prévaut jusqu’à présent à Washington. En effet, se demande-t-il, comment expliquer que les États-Unis, première puissance mondiale, soutenus en 2001 par une coalition extrêmement large et forte, se trouvent aujourd’hui isolés et donnent l’impression de ne pouvoir faire face à une montée des périls? L’administration Bush aurait, selon lui, commis deux erreurs majeures: concevoir la riposte à Al Quaïda sous le concept de «guerre globale contre le terrorisme» et faire de l’invasion de l’Irak le pivot de cette stratégie. Son propos n’est pas pour l’essentiel de contester le concept même de «guerre contre le terrorisme», mais plutôt de montrer que l’ennemi, contre lequel elle est menée, est mal identifié et que les moyens d’actions choisis sont inadaptés. Pour lui il s’agit de démonter l’idée selon laquelle il y aurait une «géostratégie de l’Islam» qui expliquerait tous les conflits actuels de la Palestine à Ben Laden en passant par nos banlieues. Il dénonce l’idée reçue selon laquelle la menace se déclinerait en quatre niveaux s’articulant l’un à l’autre de manière inéluctable: le terrorisme, sorte d’avant-garde militaire, les islamistes politiques, les fondamentalistes religieux et les musulmans culturels. De même, Olivier Roy veut montrer combien dans un islam et un Moyen-Orient divisés, c’est une complète méprise que de les concevoir comme un ensemble politique uniforme et solidaire autour de quelques conflits symboliques. Il rappelle notamment que le Moyen-Orient arabe soufre de trois traumatismes qui ont remis en cause l’arabité, le projet d’union politique et la place de la religion. Le premier est l’échec en 1918 de la création du grand royaume arabe promis par les Britanniques sur les ruines de l’empire ottoman. Le deuxième est la création de l’État d’Israël et l’échec des Arabes à le contrer. Enfin, le troisième, sans doute le plus important aujourd’hui compte tenu des événements du Liban, d’Irak et d’Iran, est le renversement de l’équilibre entre chiisme et sunnisme. Celui-ci s’est opéré depuis 1979 avec la révolution en Iran, puis en 2003 la prise du pouvoir en Irak et enfin le leadership du Hezbollah contre Israël depuis juillet 2006. Reprenant les conclusions de son précédent ouvrage sur l’Islam mondialisé, l’auteur pointe l’erreur qui consisterait à voir dans Al Quaïda une organisation terroriste territorialisée, arabe et visant à chasser les juifs et les chrétiens du Moyen-Orient. Au contraire, il s’agit d’une structure mondialisée recrutant et agissant essentiellement aux marges du monde musulman. Finalement, Oliver Roy nous invite à regarder le Moyen-Orient, le monde musulman, l’Iran et le terrorisme islamiste tels qu’ils sont et non tels qu’ils peuvent être conçus depuis Washington ou d’autres capitales. Se livrant à une remarquable analyse de situation et étude de l’ennemi, il montre comment l’administration Bush s’est, selon lui, trompée dans la définition de son effet majeur et de la manœuvre à accomplir pour l’emporter, portant l’essentiel de la responsabilité des difficultés actuelles.
Capitaine (R) Matthieu Meissonnier,
Administrateur au Sénat
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